"Le nid des Phoenix" est un documentaire sur la reconquête de son autonomie après un accident ou un traumatisme grave. Quelques patients nous montrent le chemin à suivre au Centre de rééducation et de réadaptation fonctionnelles de Kerpape, dans le Morbihan.

Ce blog vous permet de suivre toute l'actualité du film : des repérages au tournage en 2013... jusqu'à la diffusion sur France 3 Bretagne en juin 2014!

dimanche 5 mai 2013

Deux patients de Kerpape se jettent dans le vide ....!


Jeudi 25 avril, 13h30 : une bonne vingtaine de personnes regroupées devant l’école de parachutisme de Vannes, à une heure de route du Centre de Kerpape. On a eu un peu de mal à trouver et le GPS nous a fait faux bond sur la fin, mais on y est !

Saut en tandem : they believe they can fly... 
On m’explique que c’est en fait l’unique école de parachutisme de Bretagne : les « étudiants » affluent donc de toute la région pour apprendre à sauter ici, quitte à s’installer dans le camping accolé à l’école pour pouvoir rester le temps d’un week-end. Quand on voit les photos (ou qu’on saute, pour les plus téméraires), on comprend mieux pourquoi ils se sont installés là : la vue embrasse tout le Golfe du Morbihan, c’est à tomber par terre.

Alors, à quoi ressemble une école de parachutisme ? 

Une grande bâtisse remplie de parachutes multicolores que l’on replie méthodiquement après usage (la méthode de pliage est, à cet égard, assez étonnante). Des moniteurs qui s’agitent un peu partout, équipés de talkie-walkie pour diriger à distance les élèves en vol éparpillés dans le ciel bleu : « le parachute orange, tire sur ta droite... voilà… encore un peu… c’est bien, maintenant tu vas aller te poser tout droit… élargis la zone d’atterrissage, c’est pas grave ». « Le parachute vert, c’est du très bon travail, continue comme ça… ». Et puis dehors, des kilomètres de pelouse en guise de terrain d’atterrissage. Un petit avion qui, ascension après ascension, soulève ses passagers jusqu’à 4000 mètres d’altitude pour une chute qui durera quelques minutes à peine…

Aujourd’hui, deux patients du centre de Kerpape vont effectuer un saut en tandem. Un grand jour pour « Le nid des phœnix » car ce moment nous permet de sortir un peu des couloirs, des chambres et des salles de rééducation du centre et de filmer « au grand air » des personnes que nous avons suivies depuis quelques semaines déjà, et ce dans un environnement proche de Kerpape que nous souhaitons intégrer à l’image du film.

Le début d’après-midi se passe calmement : pas un seul nuage à l’horizon, un soleil de plomb qui ne pâlit guerre et qui nous fait regretter l’attirail d’été (on finira tous la journée hâlés, brunis et dorés comme des brésiliens ou, pour les moins chanceux, comme des touristes en fin de séjour sur la Costa Brava). Comme il n’y a pas suffisamment de vent pour assurer un atterrissage en douceur –le vent est indispensable car il freine le parachute à l’arrivée-, les patients devront attendre 18h pour pouvoir effectuer le saut tant attendu, ce qui a pour effet de les faire redoubler d’impatience et d’excitation, eux tout comme leur entourage.

Equipement de Rowan avant le saut, filmé par Richard Bois

Rowan Barguille (paraplégique) est accompagné de toute sa fratrie pour l’occasion : ils sont venus à neuf, munis de glacières, de caméras et d’appareils photos en rafale. A à peine 16 ans, il a l’âge minimum pour pouvoir sauter et il attend ce moment avec impatience depuis quelques temps déjà. En fin d’après-midi, quand le vent se lève enfin, il sera le premier à être équipé. Pris en main par Patrice Bourdy, directeur technique de l’école, il est allongé sur un tapis où on lui enfile le baudrier, les lunettes et où on lui explique longuement les consignes pour le bon déroulement du saut en tandem : comment se positionner dans l’avion, pendant la chute et comment va se passer l’atterrissage. N’ayant aucune sensation des pieds à la taille, Rowan sera attendu à terre par quatre moniteurs pour le réceptionner et assurer une arrivée en douceur, jambes en avant…





Jack Phelepp équipé d'une Go pro pour les images en vol







Notre deuxième patient, Jack Phelepp (amputé du mollet droit), éternel aventurier sorti de Kerpape il y a un peu plus d’un mois, sa prothèse tibiale bien vissée pour l’occasion, rentre de dix jours de vacances au Portugal et enchaîne avec le saut à Vannes. Un peu angoissé à l’idée que la prothèse ne tienne pas forcément le coup à l’atterrissage, mais pas plus que ça par le saut en lui-même. Ou disons qu’il y a, en tout cas,  bien plus d’envie que d’appréhension, ce qui est un bon début !

Alors concrètement, comment se passe un saut en parachute ?

Le parachutisme est généralement défini comme « une activité consistant à chuter d'une hauteur allant d'une centaine de mètre à plusieurs milliers (ici : 4000m) en sortant généralement d'un avion pour ensuite retourner sur terre avec l'aide d'un parachute (si tout va bien) ». Mais plusieurs éléments sont à prendre en compte afin de mettre un peu la pression aux « passagers » avant le saut : 

1/ La montée en avion dure 20 minutes, la vue est plutôt belle mais ça laisse aussi le temps de faire monter le stress

Le moment fatidique...

2/ A un moment, le pilote coupe le moteur pour laisser l’avion planer : c’est à peu près l’instant où le moniteur va te mettre les jambes dans le vide et que tu vois la Terre, loin dessous



Jack fait preuve d'une étonnante désinvolture lors de la chute libre. 



3/ Il y a environ 50 secondes de chute libre avant l’ouverture du parachute. Sensations fortes garanties.



4/ C’est une parenthèse, mais il faut savoir que le parachute ne s’ouvre pas toujours en vol. Heureusement, il y a un « parachute de secours » qui sera ouvert si le premier fait défaut !

5/ L’atterrissage est peut être une des parties les plus délicates du vol, puis qu’il faut arriver à la bonne vitesse pour ne pas se faire mal et chuter.

Mais ce qu’il y a de bien, quand on saute en tandem, c’est que c’est le moniteur qui gère l’intégralité du vol, donc l’ouverture du parachute, sa circulation dans les airs et son atterrissage. Le seul travail du passager est donc de se détendre, de profiter du paysage (car il y a de quoi profiter) et de faire confiance ! 

Merci à Rowan et à Jack d’avoir accepté d’être filmés pour ce grand moment et merci également aux cadreurs de l’école pour les images en vol, qui sont hallucinantes (teaser à venir, oui oui !).



Cliquez sur les photos pour les agrandir! 


mardi 12 février 2013

Tournage : Jour 1. Anecdotes autour d’un Super-Patient.

Je vous dois bien quelques nouvelles du « Nid des Phœnix » qui, depuis fin novembre, n’a pas succombé aux rouleaux morbihannais, je vous rassure. 2012 est passé, nous avons survécu (enfin je crois) et voilà qu’aujourd’hui, je me remets à blogger en l’honneur de la toute première journée de tournage du film. Après des mois et des mois de préparation, d’achat de matériel, de recherche de financements, de rencontres, de brain-storming… It happened ! 11 février 2013 : le D800 (autrement dit, la sublime bestiole qui nous sert de caméra) a chauffé, et bien.

Ce jour à marquer d’un joli caillou blanc est sans conteste la résultante d’un trio de choc : Richard Bois, réalisateur équipé jusqu’aux dents, son assistante réalisatrice qui court beaucoup et qui rédige en ce moment même cet article mais, surtout et principalement, notre super-patient : Jack Phelepp.


Amputé du mollet droit en janvier 2013, Jack est soulagé d’avoir pris cette décision. Depuis son accident de moto en 1999, il est en effet passé par un parcours opératoire sinueux et fatigant qui n'a pas permis à sa jambe de récupérer ses capacités. L'amputation lui permettra, à termes, de sortir de fauteuil et de remarcher. Aujourd'hui, nous l'accompagnons chausser sa toute première prothèse tibiale sculptée et modelée par le service d’ortho-prothèse de Kerpape. L’appareillage est un moment phare et filmer les premiers pas d’un patient est quelque chose de plutôt émouvant. Redécouvrir la sensation de la marche autrement, appréhender le poids et la « tenue » de cette nouvelle jambe de substitution, le contact du moignon avec l’emboîture… Le phœnix peut commencer sa résurrection.

Si tout se passe bien, Jack pourra peut-être participer aux Jeux Paralympiques de Rio, en 2016 ! Mais avant, il y a la rencontre avec la kiné, « Marie » (on n’en sait pas plus) et quelques mois de rééducation à prévoir avant le retour à la maison. « Marie »… depuis la chambre 517, on fabule déjà : une jeune? une vieille? sympa? Bref... Il y a là un enjeu de taille car les cours de kiné ont lieu chaque matin, pendant une heure.

10h14 : c’est parti. On suit Jack à travers les couloirs de l’Unité 5, jusqu’aux ascenseurs puis en bas. On passe devant le Club Loisirs, les bureaux administratifs, la piscine, le gymnase… Leçon n°1 : il faut bien compter 10 minutes pour parvenir à la salle « kinésithérapie ABCRV » (entendez par là "Amputés-Brûlés-Cardio-Râchis-Vasculaires") où l’on cherche des yeux « Marie » parmi les blouses blanches qui s’agitent.

Quelques interminables minutes plus tard (on sent bien que Jack n’en peut plus sur son fauteuil), Marie arrive enfin. C'est une jeune femme brune à lunettes, dynamique et rapide. Elle nous laisse entrer en salle d’exercice, la séance de torture peut donc commencer. Jack est soumis à rude épreuve : quadriceps, ischio-jambiers, abdos, gainages… Ça ne s’arrête que quand une crampe lui prend, et les douleurs au membre fantôme sont fréquentes chez les amputés. On le voit alors tenter d’étirer vainement le mollet disparu pour faire passer les fourmillements : le cerveau nous joue des tours!



Leçon n° 2 : mieux vaut être un poil sportif quand on franchit le seuil de Kerpape.





La kiné, très pro mais non sans humour, l’encourage maintenant à marcher entre deux barres pour travailler l’équilibre : « vous cassez pas la figure, j’ai le droit à 10% de chutes dans l’année ! On est qu’en février, j’ai pas encore dépassé mon quota… ». Rires. Le premier contact est plutôt bien passé… Malgré une certaine rigueur apparente (on sent que la rééducation va être sportive), Marie est bien. Et puis Jack à la pêche, et ça, tous les soignants le disent : c’est le plus important pour la guérison!

On a rencontré beaucoup de patients et il faut admettre que peu ont cette patate-là. Pas facile de garder le moral que l’on soit amputé, brûlé, paraplégique ou traumatisé crânien…

Leçon n°3 : garder la pêche.


Et justement, c’est souvent à ce niveau-là que l’entourage joue un rôle essentiel. Dès que la rééducation sera terminée, Jack compte bien retourner à Brest auprès de sa femme, acheter avec elle un nouveau logement (si possible plain-pied, car plus adapté au handicap) et reprendre le boulot. En arrêt maladie depuis octobre 2011, il trépigne à l’idée de retrouver ses marques en tant qu'éducateur technique au sein d’ Emergence, une association qui œuvre en faveur de la réinsertion des sortants de prison. On lui a gardé la place et, mieux, on retarde même l’achat d’un nouveau véhicule en attendant le verdict de l’auto-école de Kerpape qui devrait déterminer rapidement si Jack peut de nouveau conduire un véhicule ordinaire ou s’il a besoin d’une voiture automatique. C’est plutôt encourageant.

Il y aurait encore beaucoup à raconter, mais j’ai le défaut de ne pas toujours savoir m’arrêter et d’écrire des articles un peu longs à digérer. Alors je m’arrête pour cette fois.
A SUIVRE!

mercredi 28 novembre 2012

Une journée au sanatorium de Kerpape dans les années 50, c’est comment ?!


Avant de devenir « Centre de Rééducation et de Réadaptation Fonctionnelles » pour personnes handicapées dans les années 60, Kerpape a d’abord endossé le rôle de « Sanatorium ». C’était donc, à l’origine (dès sa création en 1914), un établissement médical spécialisé dans le traitement des différentes formes de tuberculose : une maladie qui terrorisa des populations entières, de la même manière que ce que peuvent représenter le cancer ou le SIDA à nos yeux aujourd'hui. Les sanatoriums s'étaient développés en Europe sur la base des principes suivants : préservation des malades des miasmes de la ville, nécessité de les isoler, croyance aux vertus médicales de l'air pur.

La rencontre avec d’anciens patients ayant séjourné à Kerpape à l’époque du Sanatorium nous a permis d’explorer une partie de cette mémoire-là. Jean Le Félic, victime d’une tuberculose osseuse, a vécu adolescent au centre de 1950 à 1954. Il nous a livré son témoignage et nous en avons extrait quelques passages pour vous !
Alors, la vie à Kerpape dans les années 1950, c’était comment ?!

1) Chariots, bonnes sœurs et rendez-vous

« Au pavillon Ménard, il y avait quatre salles, deux au rez-de-chaussée pour les adultes (hommes) et deux à l’étage : une également pour les adultes, l’autre pour nous les ados de douze à dix-huit ans. Nous étions environ une vingtaine, quelques « valides », la plupart comme moi allongés sur un chariot. Des chariots, on fait des lits métalliques, fond en contre-plaqué revêtu d’une paillasse, montés sur quatre roues pivotantes.

L’infirmière responsable de la salle, sœur Alice, une religieuse de l’ordre du Saint Esprit, était assistée par deux aides-soignantes : mesdemoiselles Cécile et Anne.
A la belle saison, nous étions roulés sur la terrasse. Seul remède : le soleil et l’air du large. En face, le pavillon Olier, identique à Ménard mais réservé aux femmes. Au loin, l’océan, et à droite, Groix ».

Ci-contre :rencontre en catimini entre les garçons du pavillon Ménard et les filles du Pavillon Olier. Tentatives de flirt?! Peut être! "C'était défendu. Nous étions prévenus : un couple surpris tendrement enlacé risquait le renvoi.


La direction avec un bataillon de religieuses assisté par un personnel soumis veillait au maintien des bonnes moeurs. L'époque le voulait"
!

2/ Prière, température et hygiène de survie

« Chaque matin, au réveil : prière. Sœur Alice nous l’imposait, récitée à haute voix : le Notre Père, Je vous salue Marie, Je crois en Dieu et, pour finir, l’acte de contrition.Suivait la prise de température. Sœur Alice, un bocal à la main, avec le fond contenant de l’alcool et du coton hydrophile et un thermomètre dans l’autre. Ainsi ce dernier passait-il de postérieur en postérieur. La température était inscrite sur une feuille quadrillée fixée sur une plaque métallique accrochée au pied du chariot.Venait la toilette, débarbouillage des mains, bras, visages, cuvette d’eau tiède posée sur le bas ventre. Chaque semaine, savonnage complet des pieds à la tête, shampoing (cuvette sous la nuque). Seules les parties intimes étaient à notre charge ».

3/ Distractions : des ondes et de la belotte

« Sur un poste de TSF, l’un d’entre nous était chargé de trouver les longueurs d’onde diffusant à longueur de journée les rengaines de l’époque. Etoile des neiges avec Line Renaud, Rossino avec Mariano, etc etc… sans oublier Georges Briquet commentant les matchs de foot. Il y avait aussi la sempiternelle partie de cartes. Nous nous rapprochions à deux ou trois charriots. Un ou deux valides venaient nous rejoindre, assis sur le rebord, et c’était atout, belotte, rebelote et dix de der ».

4/ Lust, caution ! (Désir, danger)

« Pour beaucoup d’entre nous, l’essentiel restait la lecture, et encore la lecture. Dans le brouhaha des conversations et de la radio, il fallait savoir s’isoler… une habitude à prendre. Quant au contenu de nos lectures, attention, Sœur Alice veillait : pas de sexe. Surtout, pas de sexe ! Par exemple, une sélection Reader Digest traitant de l’accouchement sans douleur : supprimé. Une amie m’amenait une revue « Mon Film » avec en dernière page une pin-up déshabillée : confisquée ! Cela n’empêchait pas parfois, des magazines tels que « Paris Hollywood » de circuler sous le manteau, enfin sous les draps… »

5/ Boulette

« Il y avait bien une salle de spectacle avec ciné, représentations, etc, mais faute d’ascenseur (hors d’usage depuis la guerre), seuls les valides et ceux du rez-de-chaussée pouvaient s’y rendre ! Nous ne quittions pas l’étage, sauf pour la radiographie, une fois tous les six mois ».

6/ Visites dominicales

« Visites autorisées le dimanche de 14 à 17 heures. Chaque semaine, mes parents étaient là. Quelques fois, la famille et quelques rares ami(e)s fidèles. Les autres au début, oui ; ensuite, avec le temps, on est vite oublié ! Et encore, j’avais de la chance d’être du coin… Beaucoup d’entre nous, originaires de régions plus lointaines, avaient peu ou pas du tout de visites. Il est vrai qu’à cette époque la tuberculose faisait peur. A Kerpape, rares ont été les copains à venir me voir : leurs parents les en empêchaient… A juste raison, j’aurais fait comme eux ! Depuis, cette maladie étant éradiquée, les mentalités ont changées ».

7/ Baptême du feu et torgnoles

« Il y avait, heureusement, de bons moments de franche rigolade. Un exemple : une épidémie. Plusieurs d’entre nous avions attrapé un champignon mal placé, mais vraiment très mal placé. Nous étions roulés et attendions l’un derrière l’autre notre tour devant l’infirmerie en annexe. Une jeune infirmière toute rougissante (son baptême du feu, probablement), entre le pouce et l’index, nous la prenait et nous badigeonnait copieusement le pourtour avec un mélange à base de teinture d’iode. Gérard, mon voisin de salle et ami, me précédait. Après un certain temps, je l’entends dire : « vous pouvez la lâcher, elle tient toute seule ».

Je suis parti dans un bruyant éclat de rire. Sœur Alice, présente, m’a refilé une tarte retentissante sur le coin de la tronche ».

8/ Descentes aux enfers

« Dans la journée, nous étions tous braves et faisions bonne figure. Mais la nuit venue, dans l’obscurité, bien souvent conscient de ma situation, mes yeux se remplissaient de larmes. Je n’étais pas le seul. Des raclements de gorge, des reniflements laissaient deviner bien des détresses cachées. Un condamné à la prison, sur le mur de sa cellule, marque, raye, compte les mois, les semaines, les jours restant à purger. Pour nous, durée de la peine inconnue, rien à rayer, rien à rayer, rien à compter, aucun repère, la perpette quoi. Je suis condamné à vivre dans cette position jusqu’à la fin de mes jours. J’expie ma faute : celle d’avoir contracté une tuberculose aux lombaires. Aucun projet, aucun avenir. Le désert, le vide, le néant ».

9/ Explosions

« Le personnel médical était inquiet, je ne récupérais pas. Moi, je ne voulais pas récupérer, je ne voulais plus lutter, me battre. J’en avais marre, marre, marre de cette maladie qui ma collait à la peau depuis si longtemps. J’étais fatigué, épuisé. J’avais mal, je souffrais. Il fallait que ça se finisse, je voulais que ça se finisse. Finir, finir, finir : c’était la solution.
La jeune infirmière qui chaque nuit veillait sur moi, attentive à la moindre de mes demandes, a-t-elle lu dans mes pensées ou deviné ma détresse ? Cette nuit-là, elle s’est penchée sur moi et ses lèvres se sont posées sur les miennes. Toutes les étoiles, toutes les galaxies, l’univers entier, ont explosé dans ma tête. J’avais vingt ans et c’est la première fois que j’embrassais une femme. Nos baisers se sont prolongés. Ma main, la seule valide, s’est faufilée dans l’échancrure de sa blouse sous le bonnet de son soutien-gorge. Et là, j’ai connu une jouissance extrême. A cet instant j’ai décidé de vivre. Il fallait absolument que je vive, que je vive, que je vive, pour connaître à nouveau cet extase ».

10/ Premiers pas


« Aujourd’hui, c’est un grand jour. Aujourd’hui, je vais toucher terre. Dans un moment, je vais me poser sur terre, pas sur la lune. Je dis bien sur terre. Je meurs d’impatience. Je frémis. Je frissonne. J’ai la trouille. J’ai 18 ans. Depuis trois ans et demie, je vis à l’horizontale, une parfaite horizontalité. Depuis 42 mois, une gamelle sur la poitrine : je mange, je bois à l’horizontale. Depuis 187 semaines, je me lave, je me rase, je me coiffe à l’horizontale. Depuis 1179 jours, je fume, je lis, je chie (pardon, ça c’est vulgaire) à l’horizontale.
Miracle, je suis gracié ! Une intervention divine, pardon… chirurgicale, une greffe d’os réalisée depuis trois mois va me remettre sur la verticale dans cinq minutes. Je suis anxieux. J’ai peur. Je tremble.
Trois minutes. Deux. Une. Sœur Alice et Cécile sont là. Elles me découvrent de ma literie. Chacune me prend par un bras et elles m’extirpent de ma coquille. (…) Allez, debout. Je me laisse glisser, mes pieds touchent le sol. Vingt paires d’yeux me braquent, me scrutent : ce sont mes compagnons d’infortune valides et alités. J’ai la tête qui tourne. Je fais un pas. Bon sang, que mes chevilles me font mal. Un deuxième, mes jambes flageolent. Un troisième, je titube. Cécile me retient fermement. Un quatrième. Puis un autre… encore un autre. Je crie, je hurle : « je marche, je marche » sous les acclamations et les encouragements de mes camarades : « Allez Felix, allez Felix ! ». Je ris, je pleure. Je ne sais plus. Je continue. Je me trouve grand. Je vois mes compagnons sous un autre angle. Un coup d’œil aux fenêtres : pour la première fois, j’aperçois le petit port de Lomener.
(…) Sous mon drap, je sanglote de joie. Aujourd’hui, j’ai accompli un exploit. Un exploit remarquable, un formidable exploit. Aujourd’hui, j’ai remporté une épreuve. Demain, je retourne sur le champ de bataille. Après demain aussi, et les jours suivants. Et je m’envole vers la victoire ».

Ci-contre : Valides déguisés à Kerpape



D'après le témoignage de Jean Le Félic, recueilli à Kerpape le 19 octobre 2012.

vendredi 26 octobre 2012


Oyez oyez! Le nid des phoenix sur Virgin Radio Lorient (96.4) dans la chronique d'Elodie Fournier, c'était hier soir! Petite retransmission pour nos lecteurs :

jeudi 25 octobre 2012

Merci à tous les anciens patients de Kerpape!...



Un énorme merci à tous les anciens patients du Centre de Kerpape qui se sont déplacés pour nous rencontrer la semaine dernière, démarche impliquant un retour dans un lieu où beaucoup n’étaient pas revenus depuis leur séjour, donc parfois depuis vingt ou trente ans ! Un lieu hautement symbolique, souvent chargé d’émotions et de souvenirs… Kerpape nous a été décrit comme une « bulle », un « cocon » ou encore une « chrysalide », mot combien représentatif d’un sentiment de transition entre deux états, d’une mue, d’un stade de développement intermédiaire entre deux vies…

D’un côté, la vie d’avant l’accident, celle que l’on pense être la nôtre pour des années, peut être imparfaite, mais comme quelque chose qui nous appartient. Une vie avec ses repères, ses possibles, ses doutes, mais ses ambitions.

Puis, la vie d’ « après ». Accident du travail, accident de circulation, accident domestique… Les chemins qui mènent à Kerpape sont nombreux et parfois surprenants tant les causes semblent disproportionnées au regard de la lourdeur des conséquences. Il faut alors réapprendre à fonctionner avec des capacités amoindries, dompter un organisme qui n’est plus celui sur lequel on s’appuyait. Accepter ce nouveau corps, sa « régression », accepter son image, accepter les regards qui vont avec (et en particulier pour les grands brûlés). Ou, à l’inverse, et c’est le cas de nombreux patients en neuro, affronter des handicaps dits « invisibles » où le traumatisme n’a affecté « que » les parties liées au cerveau, déclenchant des problèmes de mémoire, de spatialisation, de contrôle de soi, etc… Le corps est indemne, mais la personne est gravement blessée, ce qui ne se voit pas. Le handicap n’est alors tout simplement pas légitimité aux yeux des autres, et ce sont non pas des regards empreints de voyeurisme ou de pitié qu’il faut affronter, mais des regards plein de suspicion, ce qui n'est pas forcément plus facile.

Cette reconstruction est un travail qui peut prendre des années et dans lequel le rôle de la famille, de l’entourage et des amis nous a été décrit maintes et maintes fois comme central : « elle ne m’a pas laissé une seule journée seul à Kerpape, elle venait tous les jours », nous raconte un ancien patient. La mère d’un enfant hémiplégique confie : « ses copains lui ont écrit des lettres pendant toute sa rééducation, c’était très important ». De la présence, beaucoup : surtout, ne pas se sentir abandonné quand on traverse cette phase.

Le Centre de Kerpape est donc bien souvent le lieu de ce carrefour-là, l’atelier où l’on fabrique et où l’on expérimente tous les possibles pour réparer les corps et réaménager l’existence, le quotidien. Services de kinésithérapie, d’ergothérapie et d’orthoprothèse, psychologues, laboratoire électronique, etc… travaillent en intelligence pour préparer la sortie des patients. La possibilité de retrouver une autonomie à l’extérieur, parfois par l’intermédiaire de logements adaptés et d’assistance dans un premier temps.

Car la sortie est bien le maître-mot. L’objectif premier. Kerpape est un point de passage, et non un lieu où l’on s’installe. Ce qui n’est pas forcément évident. La qualité des soins, l’attention apportée aux patients par les soignants mais aussi les relations d’entraide et d’émulation permanentes entre patients font qu’il est, pour beaucoup, très complexe d’affronter le retour à l’extérieur, surtout après plusieurs années de séjour. Kerpape semble parler un langage qui lui est propre, et qui est parfois difficilement transposable une fois dehors. Une des anciennes patientes ayant vécu dans le centre entre 13 et 17 ans nous dit : « 4 ans, c’était suffisant ! Kerpape, c’est une bulle… Il faut pouvoir en sortir ! ». Aujourd’hui, elle vit dans son appartement à elle, à Rennes, et a fait le trajet jusqu’à Ploemeur pour venir nous voir… Et combien de témoignages rejoignent ce sentiment-là, combien de : « je ne voulais plus rentrer à la maison ! », qui font rire les conjoints qui écoutent, quand ce n’est pas eux qui nous disent, en rigolant : « ELLE ne voulait plus rentrer à la maison !... ».

Peut-on vraiment, un jour, sortir de Kerpape ? Il semblerait que certains y parviennent, d’autres moins… Les témoignages ont été variés et ont soulevé de nombreux questionnements pour nous… Un immense merci à vous tous, n’hésitez pas à nous laisser des commentaires par l’intermédiaire du blog, de la page facebook ou via mon mail (faustine@richardbois.com).

A bientôt !

lundi 15 octobre 2012

Richard Bois présente son film. Note d'intention!


Le centre hospitalier de Kerpape est situé à l’est de la plage de l’anse du Stole sur la commune bretonne de Ploemeur, à quelques kilomètres de Lorient, dans le Morbihan. Chaque jour 400 personnes y sont soignées (2/3 adultes, 1/3 enfants). Kerpape met l’accent sur les grands brûlés et les grands accidentés. Soins, ortho-prothèse, rééducation fonctionnelle et adaptative, musculation, sport fonctionnel sont les maîtres mots de ce centre mutualiste. Chaque année depuis ma naissance, je suis venu sur cette plage où mon grand-père a acheté une maison après la guerre à la fin des années 1940. Récemment, pour des raisons totalement fortuites, par le biais du service d’ortho-prothèse, je me suis retrouvé invité à pénétrer ce lieu qui a habité mon imaginaire d’enfant, et même d’adolescent. D’inquiétants hommes en chaises roulantes, d’autres qui n’avaient qu’un bras ou un grand bandage autour de la tête, sortaient de ces maisons perdues au milieu du grand parc, comme camouflées. Après ces années à voir passer sur le bord de la plage, ces chaises roulantes, ces têtes enveloppées dans des bandes, il a fallu que je sois amené à y pénétrer, pour que mon regard change. En rencontrant l’équipe du service d’ortho-prothèse du centre de Kerpape, je me suis retrouvé au milieu du fameux repaire des corsaires et pirates … j’avoue avoir éprouvé au début une certaine appréhension. Puis, le voile est tombé. Venu observer la fabrication de moules en polyuréthane, une toute autre observation s’est imposée. Celle du quotidien de ce service. Tout d’un coup la lumière se faisait sur ce que j’avais refoulé depuis tant d’années par peur, peur de l’autre, peur de la différence. Ce changement m’a posé question et m’a donné envie d’en savoir plus pour mieux comprendre. De passer plus de temps là et autour, pour filmer, questionner, approfondir l’histoire des protagonistes de ce lieu unique. Ce chemin d’enquête conduit inévitablement à pénétrer le passé, remonter le temps et raconter aussi l’Histoire des cent ans de Kerpape. Je crois fermement que les lieux ont une mémoire. Que les murs ont une capacité à influencer les comportements. Explorer cette mémoire est l’éclairage ultime qui permet de comprendre l’Histoire de ces « caractères » forgés à force de combat contre le handicap.

Richard Bois, réalisateur.